Les parcours professionnels tout tracés d’avance ne sont pas le lot de tous. Yves Tougas a perdu la vue à 18 ans, un âge où les projets d’avenir commencent souvent à se concrétiser. Il a dû rebondir rapidement pour établir un plan B. Portrait d’un homme qui n’a pas eu besoin de ses yeux pour avoir de la vision.

Comment avez-vous perdu la vue?
Yves Tougas : À 18 ans, j’ai développé la maladie de Leber, qui s’est attaquée à mon nerf optique. Après six mois, je ne voyais plus. Or, la dernière chose que je voulais, c’était que mes parents me surprotègent, alors je suis rapidement parti de la maison. J’ai eu l’aide de l’Institut Nazareth et Louis-Braille, où j’ai appris à lire en braille, à utiliser l’ordinateur et la canne ainsi que proposé diverses possibilités de carrière.

Quel a été votre premier emploi?
L’Institut m’a offert de suivre un cours d’agent au service à la clientèle. Pendant quatre ans, j’ai travaillé au soutien technique de la Banque Scotia.

Qu’est-ce qui vous a fait changer de direction?
Comme j’ai toujours été sportif, le travail assis était vraiment dur pour moi. En 2003, j’ai commencé à réfléchir à ce que je pouvais faire d’autre. J’ai essayé de trouver un domaine qui était lié au sport et qui s’adaptait bien à mon handicap. J’ai pensé à la massothérapie sportive, qui me donnait le meilleur des deux mondes. La formation était de 1 000 heures, soit trois sessions de trois mois et demi, que j’ai terminées en 2004.

Quelle a été votre plus grande difficulté durant la formation?
La formation n’était pas adaptée pour les non-voyants. Je devais donc mettre les bouchées doubles pour y arriver. J’enregistrais les cours et la professeure me montrait parfois directement sur moi les différentes techniques. Lorsque j’avais manqué des éléments durant les cours, je devais étudier ensuite pour les rattraper. J’ai finalement terminé dans les cinq premiers de la formation.

Comment vous y êtes-vous pris pour trouver un emploi en massothérapie?
Un ami m’a aidé à chercher des emplois sur Internet et j’ai débuté comme massothérapeute dans un spa sur la rue Saint-Denis, à Montréal. Le travail ne correspondait toutefois pas à mon champ d’expertise, soit la massothérapie sportive. J’ai ensuite postulé au Pro Gym sur la rue Hochelaga. Les employeurs ne voyaient aucun problème à ce que je sois non-voyant et m’ont rapidement fait confiance en raison de mes compétences. Le directeur, Serge Moreau, m’a aussi offert de m’entraîner au gym, question de me familiariser avec les lieux.

Comment faites-vous pour prendre les rendez-vous?
Actuellement, j’utilise un simple horaire papier, et lorsqu’un client me téléphone pour prendre un rendez-vous, une autre personne m’aide à l’inscrire à l’horaire. Lorsque le client se trouve sur les lieux, il l’ajoute lui-même. J’utiliserai prochainement un système informatique afin de faciliter le processus.

Y a-t-il un avantage à être massothérapeute quand on est non-voyant?
Comme je n’ai jamais été un massothérapeute voyant, je ne peux pas comparer! Mais certains clients m’ont dit qu’ils étaient plus à l’aise, parce que parfois la nudité est une source d’inconfort pour eux.

Arrive-t-il parfois que des clients soient surpris du fait que vous êtes non-voyant?
Comme ça fait maintenant six ans que je suis à mon compte au Pro Gym, les gens ont entendu parler de moi par réputation et le savent déjà. Sinon, je le leur mentionne à l’avance.

Si vous ne faisiez plus de massothérapie, quel métier souhaiteriez-vous faire?
Je pense que je continuerais dans le milieu sportif, mais comme entraîneur dans un gym, ou encore nutritionniste.