Êtes-vous prêts à accorder une augmentation de salaire de 15% aux employés du secteur public provincial? Est-ce réaliste?

C’est ce que demandent les trois centrales syndicales représentant la plus grande part des salariés à l’emploi du gouvernement du Québec, pour la période des prochaines conventions collectives, soit de 2015 à 2018.

À coup de 4,5% par année.

Dans le contexte de l’état des finances publiques, l’appétit syndical pour leurs membres est étonnant. Dans le contexte des tendances en rémunération, ça l’est moins, par contre.

Mathématiquement, ça se justifie

Les employés de l’État, en excluant les médecins et les hauts fonctionnaires, auront bénéficié d’une hausse de 7,5% de leur salaire horaire au terme des présentes conventions collectives, le 1er avril 2015. Cela représente une moyenne de 1,5% par année.

Selon les données annuelles de Statistique Canada, le taux horaire moyen de l’ensemble des Québécois avait augmenté de 2,2% chaque année entre 2010 et 2013, inclusivement. En fait, pour les travailleurs qui n’étaient pas rémunérés par le gouvernement du Québec, la hausse moyenne annuelle est probablement située autour de 2,4%.

À la fin de 2013, le salaire horaire des Québécois dans l’ensemble frôlait les 25$ de l’heure. Pour les employés de l’État québécois : il était tout juste sous les 24$. Même en incluant les avantages sociaux, la rémunération globale de ces derniers ne dépasse pas celle des travailleurs du secteur privé.

Le public a ses avantages
Mais le salaire horaire ne donne pas un portrait très juste. Il y a différents facteurs qui expliquent les variations salariales moyennes, et pas seulement l’augmentation du taux horaire. Par exemple, quand l’économie croit peu, les travailleurs, surtout ceux du secteur privé, font moins de surtemps, d’autres voient même leur nombres d’heures régulières coupé.

Ainsi, en 2013, année décevante pour l’économie canadienne, le salaire hebdomadaire moyen au Québec a cru de seulement 1,4% par rapport à 2012. Il était à 834$ l’an dernier, par rapport à 823$ en 2012.

En ne tenant compte que des travailleurs à temps plein (80% d’entre vous l’êtes), la croissance du salaire des dernières années varie entre 1,5 et 3,4%, pour une moyenne annuelle de 2,4%.

Donc, oui, mathématiquement, les syndiqués du gouvernement sont en droit de demander un rattrapage salarial par rapport à l’ensemble des salariés. Reste maintenant à évaluer la valeur de la permanence en emploi du secteur public. Ce qui n’a pas encore été réalisé, tant c’est subjectif.

Un employeur difficilement comparable
D’ailleurs, chaque année, l’Institut de la statistique du Québec publie un rapport dans lequel il compare la rémunération des salariés de différents employeurs, dont ceux du gouvernement du Québec. En incluant l’ensemble des avantages sociaux plus généreux dont bénéficient les employés de l’État, ces derniers gagnent 8% de moins que tous les autres salariés.

Toutefois, de nombreux observateurs dénoncent ce rapport, car il ne vise que les salariés d’employeurs comptant 200 salariés ou plus. Ils croient plutôt qu’il faille comparer les employés du gouvernement avec l’ensemble des travailleurs québécois.

Or, le gouvernement n’est pas un employeur comme les autres. Il est gros. Très gros. Quand Bombardier, Bell et le Canadien National établissent le salaire d’une réceptionniste, ils ne tiennent pas compte du salaire en vigueur à la patate du coin, ou chez l’entrepreneur en entretien de pelouse. Ce sont les salaires en vigueur dans leur industrie et chez les employeurs de leur taille qui influenceront leur choix.

Est-ce à dire que les syndiqués de l’État méritent une augmentation de salaire de 4,5% par année? Et si oui, l’État en a-t-il les moyens? À vous – et votre gouvernement – d’y répondre.

Ça fera mal, docteur?
Cela dit, ce n’est pas un hasard si, dans la rhétorique du moins, le gouvernement de Philippe Couillard se montre conciliant à l’égard des employés «ordinaires» du gouvernement, mais exige déjà des concessions aux médecins.

En 2014-2015, la rémunération totale des 18 000 médecins accaparera 9% de toutes les dépenses gouvernementales de Québec. Quand je dis tout, c’est vraiment tout: du salaire des 500 000 autres employés de l’État, du gaz dans les chars et les camions (et leur entretien), des produits ménagers, de la location d’espaces de bureaux, des râteaux, des ordis, des logiciels, des cotisations aux régimes de retraite, et bien entendu, des intérêts versés aux détenteurs de la dette québécoise, que ce soit vous avec vos obligations d’épargne, ou les grandes banques internationales.

Il s’agit d’un gâteau de 6,6 milliards de dollars.

Éric Grenier

Éric Grenier est journaliste. Il a été notamment rédacteur en chef du Magazine Jobboom, et est collaborateur aux magazines L’actualité et Protégez-vous.