Employeur cherche employé (désespérément)

Le concept de « pénurie » ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes. Ni « rareté », « difficulté de recrutement » ou « poste vacant », d’ailleurs. Mais recruter est bel et bien un casse-tête dans certains secteurs. Regard sur les domaines qui ont le plus de mal à recruter.
Pénurie ou rareté ? Pour Diane-Gabrielle Tremblay, professeure au département économie et gestion de la TÉLUQ, il n’y a pas vraiment de différence entre les deux concepts.
Habituellement, pour « mesurer » une pénurie on considère le pourcentage de postes vacants. Au Québec, c’est 3,1 % de l’emploi, soit 61 690 postes qui étaient vacants en 2011 selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et du Centre d’étude sur l’emploi et les technologies (CETECH)*. Pour être encore plus précis, les postes vacants de longue durée, soit inoccupés pendant 4 mois ou plus sont au nombre de 14 260, soit 0,7 % de l’emploi.
Pénurie ou pas?
France Bernier, conseillère à la recherche à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), ne croit pas que le Québec vit une pénurie : « La pénurie de main-d’œuvre, c’est les employeurs qui en parlent et ils se concentrent sur leur difficulté à recruter. » Pour Mme Bernier, il n’est pas question de pénurie de main-d’œuvre, mais de rareté appréhendée. Ce qui rejoint le point de vue du CETECH : le Québec ne fait pas face à une pénurie de main-d’œuvre.
Les avis sont très partagés sur la question, mais pour Mme Tremblay, une pénurie c’est simplement le fait de ne pas trouver le personnel nécessaire dans un secteur ou une profession donnée. « Parfois, c’est une vraie pénurie, explique-t-elle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas suffisamment de personnel formé dans le domaine, parfois c’est un peu artificiel, au sens où l’on ne trouve pas de personnel intéressé à un poste. » Dans ce dernier cas, les mauvaises conditions de travail et les salaires insuffisants seraient en cause.
Secteurs les plus touchés
Malgré ses tiraillements de fonds et de formes, certains employeurs ont de la difficulté à recruter. Les secteurs qui ont les plus hauts taux de postes vacants sont la conception de système informatique (6,9 %), le secteur de l’architecture, du génie et des services connexes (6,4 %) et le secteur des produits aérospatiaux (6,4 %), selon l’étude de l’ISQ et de la CETECH.
Selon Mme Tremblay, c’est le secteur de la santé qui est le plus touché au Québec. « Certains considèrent que c’est une fausse pénurie, ajoute-t-elle, créée surtout par des horaires difficiles et de mauvaises conditions de travail. » Parmi les autres secteurs qui ont de la difficulté à recruter, notons le commerce de détail, le secteur minier (où tous les diplômés trouvent un emploi !) et le tourisme.
Tout est une question de décroissance de la population et du nombre de travailleurs qui contribuent à la production pour M. Jean-Pierre Aubry, économiste et Fellow associé au CIRANO « Il faut comprendre qu’on ne pourra produire à la même vitesse que par le passé. C’est ce que la rareté ou la pénurie de main-d’œuvre veulent dire. Cela veut aussi dire que la croissance économique sera plus faible dans les 30 prochaines années que dans les 50 dernières années. »
De meilleures conditions pour contrer la pénurie
Les trois experts interrogés s’entendent pour dire qu’il faudrait offrir de meilleures conditions aux employés pour contrer les pénuries, vraies ou fausses, localisées ou temporaires.
Ce serait notamment le cas des infirmières, d’après Mme Tremblay : « Ce sont souvent les conditions de travail, en particulier les horaires, qui sont jugés difficiles et qui font que certaines infirmières vont préférer le privé, ou quitter la profession, créant ainsi une certaine pénurie. »
Pour Mme Bernier, il y a un énorme travail à faire du côté des employeurs : « Réorganisation du travail, meilleures conditions salariales, nouveaux modèles de gestion et de production, est l’analyse que je fais pour contrer la rareté de main-d’œuvre. »
*Enquête sur le recrutement et l’emploi au Québec : http://www.cetech.gouv.qc.ca/includes/composants/telecharger.asp?fichier=/publications/pdf/WebBrochure_Ereq_nationale_2011_volume%2011_Rapport_STATISTIQUES.pdf&langue=fr