Il manque 120 000 emplois au Québec et 600 000 au Canada

Le chômage est relativement bas, il n’y a jamais eu autant de Québécois et de Canadiens au travail, les salaires montent (un peu, mais ils montent).
Certes, au cours des derniers mois, la croissance de l’emploi n’a pas été au rendez-vous au Québec et dans les Maritimes, mais ça n’explique pas le climat dépressif actuel, comme je l’expliquais dans l’analyse des données de l’emploi d’octobre dernier, publiées par Statistique Canada.
La déception pourrait être de rigueur, mais pas le catastrophisme.
À l’inverse, dans le reste du Canada, à la suite de l’annonce deux mois consécutifs du taux de chômage le plus bas en six ans (à 6,5%), règne un nouvel enthousiasme. Mais qui pourrait s’avérer pas mal fragile. La déprime n’est couverte que d’une mince couche de peinture.
Pourquoi? Le problème avec l’emploi au Québec, et au Canada, se trouve là où il ne se voit pas, il ne se manifeste pas dans les statistiques officielles. C’est un fantôme.
600 000 emplois fantômes
Le problème n’est pas les emplois perdus ou gagnés, en un mois ou en un an. Ce sont les emplois que nous aurions dû avoir, si le potentiel de la main-d’œuvre était utilisé au même niveau qu’il y a six ans, tout juste avant que la récession globale ne frappe les marchés de l’emploi à travers le monde.
Il manque 120 000 emplois au Québec. À l’extérieur de la province, en excluant les chiffres québécois, c’est près d’un demi-million d’emplois qui n’existent pas, mais qui auraient dû exister, donc plus de 600 000 emplois.
Surtout, 600 000 personnes qui n’ont pas d’emploi, qui en voudraient un, qui en mériteraient un, mais qui n’en trouvent pas. Parce que l’économie est incapable d’offrir la même quantité de travail par habitant qu’avant la récession de 2008. Même si la richesse totale produite en ce pays a augmenté de plus de 20% depuis.
Plus important que le taux de chômage
Si le Québec affichait le même taux d’emploi – c’est-à-dire le pourcentage de la population de 15 ans et plus en emploi – qu’au moment où la dernière récession débutait en 2008, il y aurait 120 000 emplois de plus aujourd’hui. Un phénomène d’emplois fantômes.
Avant la tourmente au début de 2008, ce taux était à 61,2% au Québec. Au plus fort de la crise, il avait sombré à 59,1%, en 2011. Il a repris du tonus depuis, mais sans jamais se rapprocher des niveaux d’avant la récession.
Pire : il est en baisse constante depuis mars dernier, pour atteindre, en octobre dernier, un seuil digne des pires années, à 59,4% Ce score est l’un des pires obtenus par la province depuis… 2001!
Il n’y a pas qu’au Québec où sévit ce phénomène des emplois fantômes. Dans le reste du Canada (en excluant donc les chiffres du Québec), il faudrait plus d’un demi-million d’emplois pour retrouver le même niveau d’activité dans la population besogneuse, quand l’économie allait relativement bien.
À 61,6% en octobre, il est à peu près immobile depuis 2010, alors qu’il atteignait 63,8% à son meilleur, en février 2008. Même en Alberta, le taux d’emploi est aujourd’hui largement sous les valeurs qu’il affichait il y a six ans (69,3%, contre, 72,6% en octobre 2008).
Donc, aussi, l’Alberta, malgré ses allures de prospérité bien huilée, a perdu, toutes proportions gardées, quelque 110 000 emplois en six ans.
À cause des retraités?
Le vieillissement de la population est en partie en cause, mais il n’explique pas tout. Regardons le cas du Québec : il y avait 33 000 emplois de moins en octobre dernier par rapport à 12 mois plus tôt. Or, il n’y avait que 5000 personnes de moins dans la population âgée entre 25 et 54 ans.
En incluant toutes les personnes âgées jusqu’à 64 ans, âge du seuil de la retraite normale, il y avait même 4000 personnes de plus. Bref, même en tenant compte du vieillissement, il ne devrait pas y avoir moins d’emplois, mais plus.
Ainsi, la démographie n’expliquerait qu’une très faible partie des pertes d’emplois des 12 derniers mois dans la province. Surtout, lorsqu’on constate que parmi la population des 25-54, où se trouve très peu de départs à la retraite ou de préretraite (à moins d’être policiers ou pompiers), il y en avait 75 000 de moins qui occupaient un emploi à temps plein. Même chez les hommes de ce groupe d’âge, la saignée est importante : -25 000 employés à temps plein.
Il y a vraiment quelque chose qui coince.
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Taux d’emploi :
Canada
2008 : 63,8%
2014 : 61,6%
Québec
2008 : 61,2%
2014 : 59,1%
Ontario
2008 : 63,8%
2014 : 61,3%
Alberta
2008 : 72,6%
2014 : 69,3%