Quand on cherche un emploi sans succès, il peut être frustrant d’entendre sans cesse que le marché du travail « souffre d’une pénurie de travailleurs ». Ceux-ci auraient le gros bout du bâton, vraiment?

Dans un rapport de la Banque TD, l’économiste Derek Burleton et trois de ses collègues suggèrent que les pénuries de main-d’œuvre que l’on prévoit en raison des changements démographiques seraient isolées et qu’elles ne prendraient pas de plus grandes proportions qu’il y a dix ans.

Dans la vie de tous les jours, quelle est la réalité vécue par ses travailleurs? Sylvie Michon, conseillère en emploi, met cette fameuse pénurie en contexte.

Croyez-vous qu’il existe une réelle pénurie de main-d’œuvre?
S. M. :
Il s’agit plus d’une pénurie de compétences spécialisées que d’une pénurie de main-d’œuvre. Les employeurs de différents secteurs ont des attentes très précises et des exigences de plus en plus pointues sur les profils de candidats qu’ils recherchent. On accepte de moins en moins de former des gens, notamment en raison des compressions budgétaires qui obligent les entreprises à faire plus avec moins de personnel. Moins de ressources sont ainsi attribuées à la formation de nouveaux employés.

Comment les travailleurs en recherche d’emploi vivent-ils la pénurie?
S. M. :
Lorsqu’ils cherchent un emploi, les nouveaux arrivants ou les jeunes travailleurs ont l’impression que bien des emplois requièrent de trois à cinq années d’expérience. Je leur réponds souvent que ce peut être un indicateur que ces employeurs ne souhaitent pas former le nouvel employé. Ils veulent un employé « clé en main » qui sera prêt à accomplir les tâches, tout de suite.

Bien souvent, ils doivent d’abord trouver un emploi où les conditions de travail sont moins bonnes et qui offre un salaire moins élevé, question d’acquérir l’expérience et les compétences pointues demandées par un employeur de renom qui offre des conditions plus avantageuses.

Dans quels secteurs existe-t-il une plus grande « pénurie »?
S.M. : J’ai observé que ce phénomène de « compétences spécialisées » touche la plupart des secteurs, que ce soit la santé, le service à la clientèle, les TI ou le commerce de détail. Selon moi, ce n’est pas nécessairement les travailleurs qui ne possèdent pas les compétences spécialisées requises, mais plutôt les employeurs qui ont augmenté leurs exigences à l’embauche, demandant à la fois des compétences spécialisées, mais aussi des compétences transférables particulières.

Qu’est-ce qui pourrait être fait pour contrer cette « pénurie » à petite échelle?
S.M. :
Les employeurs ont des attentes souvent très élevées. Les recruteurs avec qui j’ai eu l’occasion de travailler m’ont mentionné qu’ils ont de la difficulté à convaincre leurs employeurs de diminuer les critères à l’embauche. Certains d’entre eux préfèrent garder un poste vacant pendant longtemps plutôt que d’offrir le poste à un candidat qui aurait pourtant la personnalité et les compétences transférables requises, même si l’expérience est absente, par exemple.

Mais c’est vrai que certains emplois requièrent des compétences particulières. Si les travailleurs ne réussissent pas à trouver de candidats qui correspondent à leurs critères, ils pourraient se prévaloir de certains programmes, comme PRIIME, qui offre aux employeurs qui embauchent de nouveaux arrivants de rembourser une partie de leurs frais de formation.