« Effarant » : c’est le terme utilisé par la Commission de la construction du Québec (CCQ) pour évoquer les données compilées sur la rétention de la main-d’œuvre féminine sur les chantiers. Est-ce que l’industrie de la construction est hostile aux femmes malgré tous les efforts déployés pour les intégrer? Portrait d’un milieu pas comme les autres.

« Ça donne quoi de les envoyer là, si on ne fait rien pour les garder en emploi? », demande Karyne Prégent, représentante en condition féminine à la CSN-Construction de Montréal. C’est que la CCQ a publié en septembre dernier son « Bilan des mesures entre 1997 et 2012 » dans le cadre du Programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction. Et le constat n’est pas toujours rose.

Si trois fois plus de femmes intègrent ce milieu depuis 1997, lorsque l’on aborde la rétention de ces travailleuses, les chiffres sont alarmants. Ainsi, malgré ce sang frais, sur un total de 4 430 femmes ayant amorcé une carrière dans la construction depuis 1997, il n’en restait que 2 067  en 2001.

Au bas mot, ce sont près de 60 % des femmes qui ont quitté le bateau après cinq ans. Les hommes, eux, l’ont fait dans une proportion de 36 % durant la même période. Pourquoi? « C’est un problème complexe, avec de multiples facettes qu’il importe d’analyser », explique Mme Prégent qui précise que toutes les mesures mises en place depuis 1997 sont volontaires, ce qui est absurde, selon elle.

Rester ou partir?

Mélanie St-Laurent est ferrailleuse depuis 3 ans et son intégration sur les chantiers n’a pas été de tout repos : « Au début, j’étais mal à l’aise, ça fait juste un an que les gars me respectent. Ils disaient que je n’avais pas ma place, ils me disaient des niaiseries. Il faut leur montrer tout de suite de quoi t’es capable », dit celle qui n’a pas l’intention de quitter le milieu de la construction.

Dans son rapport, la CCQ souligne que « les problèmes de harcèlement, de discrimination systémique et d’intimidation sont soulevés par les femmes comme principaux motifs d’abandon des métiers de l’industrie de la construction. » À cela, Karyne Prégent ajoute que pour une femme, « c’est souvent un éternel recommencement : les petits contrats se multiplient et donc, les femmes ont des jobs de débutant, car on ne leur offre pas le même apprentissage que les hommes. »

Cela est sans compter la différence dans les équipements de sécurité, les harnais trop grands par exemple, ou l’absence de services, dont des toilettes sur certains chantiers, qui peuvent expliquer la quasi-désertion des femmes. « Mon rêve c’était de travailler dans la construction. Ce qui m’a aidé, c’est que je ne me considère pas d’abord en tant que fille, mais surtout comme un travailleur de la construction. », explique Mélanie St-Laurent.

Faire front

Que répond Karyne Prégent aux filles qui voudraient travailler sur les chantiers ? « Je leur dirais la réalité, répond-elle. Ce n’est pas tout beau, tout facile, mais ce n’est pas facile pour les hommes non plus. Ce sont aussi des métiers qui offrent de bonnes conditions salariales. »

Celle qui se fait un point d’honneur à donner l’heure juste croit aussi que tant que l’accès à l’égalité des femmes reposera sur des mesures volontaires, rien ne changera. Les chiffres de la CCQ en sont la preuve pour Mme Prégent : « Ça prend des mesures obligatoires, c’est une roue qui tourne : plus il y a de femmes, plus les mentalités vont changer, et plus il y aura de femmes, meilleur leur situation sera. »

En attendant, elles étaient plus de 50 femmes de partout au Québec, au mois de septembre dernier, pour le Forum Femme CSN-Construction. Lors ce forum, elles ont formé le 1er réseau québécois des travailleuses de la construction.

C’est un début.