Plus de pétrole, plus d’emplois?

L’inversion du pipeline 9 d’Enbridge n’amènera pas que du pétrole à la Belle Province, mais aussi des milliers d’emplois. C’est ce qu’affirme Ottawa pour convaincre la population québécoise d’accepter le projet. Or, rien n’est moins sûr selon Pierre-Olivier Pineau, professeur agrégé à HEC Montréal, qui pense que l’opération permettra tout au plus le maintien des postes actuels dans le raffinage à Montréal.
Environ 11 000 : selon le gouvernement fédéral, c’est le nombre d’emplois qui pourraient être créés au Québec au cours des 25 prochaines années dans l’industrie pétrolière grâce à l’ouverture des nouveaux marchés rendue possible par l’afflux du pétrole de l’Ouest canadien vers l’est du pays. Joe Oliver, le ministre fédéral des Ressources naturelles, l’a affirmé lors de son passage à la raffinerie Suncor de Montréal le 10 avril dernier, en ajoutant que le PIB annuel du Québec augmenterait de 725 millions de dollars en moyenne par la même occasion.
Pour ce faire, il faudrait renverser le flux transcanadien actuel d’énergie qui achemine du pétrole brut de la mer du Nord, de l’Afrique occidentale et du Moyen-Orient vers l’ouest. C’est la canalisation 9, un pipeline exploité par la société Enbridge, qui assure ce transport pour la portion comprise entre les Grands Lacs et Montréal. L’inversion du flux de la portion 9A de 200 km environ comprise entre le terminal de Sarnia sur le lac Huron, et le poste de pompage de North Westover, tous deux situés en Ontario, a déjà été approuvé par l’Office national de l’énergie en juillet 2012.
L’inversion de la portion 9B pour les 639 km restants est quant à elle encore en discussion. Si le gouvernement Marois est d’accord sur le principe, la population s’inquiète des risques environnementaux liés à l’augmentation de la capacité du pipeline, qui passerait de 240 000 à 300 000 barils par jour. Le gouvernement fédéral et les compagnies pétrolières doivent donc convaincre l’opinion publique, en faisant notamment miroiter emplois et autres retombées économiques.
Revirement de situation
L’inversion de la canalisation 9 serait un retour à sa vocation initiale, puisque cette conduite a été construite en 1976 pour acheminer le pétrole de l’ouest vers les terminaux de l’est. C’est en 1998 que son flux a été inversé pour la première fois, parce que le pétrole étranger était devenu plus économique que le pétrole national.
De même, le projet d’inversion actuel répond à un nouveau revirement dans la situation énergétique en Amérique du Nord : avec l’augmentation de la production des sables bitumineux albertains et l’essor de l’extraction du pétrole de schiste américain au Dakota du Nord, notre continent connaît une surproduction pétrolière combinée à une stagnation de la demande domestique. Il est donc devenu crucial pour les pétrolières d’augmenter leurs exportations en s’assurant des débouchés vers l’Europe et l’Asie.
Profitable à qui?
L’inversion de la canalisation 9 serait donc bien plus stratégique pour Suncor que pour le Québec et pour le Canada comme on essaie de le faire croire, considère Pierre-Olivier Pineau, professeur agrégé de gestion à HEC Montréal et spécialiste des politiques énergétiques. « La raffinerie de Montréal n’est pas une grosse raffinerie, alors que la tendance actuelle dans l’industrie est à la concentration des activités de raffinage. Montréal n’est pas non plus une plaque tournante de l’industrie pétrolière. En plus, les sources pétrolières de l’est traitées ici sont beaucoup plus chères », explique-t-il. Pour toutes ces raisons, la raffinerie de Montréal ne serait pas vraiment intéressante pour Suncor et donc en sursis.
En revanche, elle redeviendrait plus rentable si l’on raffinait du pétrole de l’Ouest sensiblement moins cher. En outre, traiter à Montréal le pétrole des sables bitumineux que Suncor extrait en Alberta permettrait à la pétrolière d’augmenter ses marges de profit en poursuivant l’intégration de ses activités de production à ses activités de raffinage et de distribution, qu’elle a acquises avec le rachat de Petro-Canada en 2009.
Résultat, la seule conséquence un tant soit peu tangible sur l’emploi de l’arrivée du pétrole de l’Ouest par la canalisation 9 d’Enbridge serait le maintien de la raffinerie Suncor de Montréal, où travaillent un peu plus de 400 personnes.
Le reste relève pour l’instant de l’hypothèse.