Quand dire non au travail gratuit

« Ça va te donner une superbe visibilité! » Combien de travailleurs autonomes ont déjà entendu cette justification lorsqu’on leur demande leurs services sans offrir de rémunération ?
Chaque semaine, c’est immanquable, l’illustrateur Sébastien Thibault se fait offrir une ou deux propositions de collaborations non rémunérées. « Juste cette semaine, on m’a contacté afin de me demander de soumettre gratuitement des esquisses ! » s’exclame celui qui compte entre autres le Time, le New York Times et L’actualité parmi ses clients.
Nombreux sont les designers graphiques, journalistes indépendants et travailleurs autonomes de tout acabit à qui l’on propose un peu de visibilité en échange de leurs services. Même les blogueurs ne sont pas épargnés par ce phénomène, raconte dans un billet incendiaire Ève Martel, blogueuse derrière le site Tellement Swell et directrice des contenus à l’agence Sid Lee. « Je ne suis pas la seule à recevoir ce type de sollicitations », constate-t-elle avant de relater les anecdotes d’autres producteurs de contenu.
Les artistes, pourtant protégés par la Loi sur le statut de l’artiste, n’y échappent pas non plus. « C’est très répandu dans les domaines de la variété et de la chanson, où les demandes pour “venir faire deux tounes gratuitement” lors de festivals ou dans des boîtes à chanson sont monnaie courante », explique Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes.
Dans le milieu de l’illustration, le phénomène est tel que l’Association des illustrateurs et illustratrices du Québec a cru bon de spécifier sa position sur ce sujet dans son code d’éthique. « On ne devrait jamais demander à un artiste de travailler gratuitement en lui promettant des contrats rémunérateurs à l’avenir », peut-on lire à l’article 8.
Dérives abusives
Si de telles offres ont effectivement leurs bons côtés en début de carrière, elles deviennent rapidement abusives au fur et à mesure que l’expérience professionnelle s’acquiert. « C’est normal de vouloir se bâtir un portfolio, mais dès qu’on est capable d’en vivre, on devrait commencer à refuser », fait valoir Estelle Bachelard, mieux connue sous son nom de bédéiste Bach.
Même son de cloche du côté de Sébastien Thibault. « Lorsqu’on commence, je dirais même que c’est un passage obligé », pense celui qui a bénéficié de ses premières collaborations auprès de magazines comme Urbania pour se faire connaître. « Par respect pour mes clients, mais aussi pour mes collègues, je ne fais presque plus de projets de ce type », explique celui qui les chiffre à « une dizaine par année, maximum ».
Car, en plus de ne pas payer le loyer, ce type de collaboration heurte les conditions de travail de tout un milieu. « Accepter ce genre de proposition est une pente glissante, estime Sophie Prégent. Un cachet, même symbolique, est mieux que rien du tout. C’est une preuve de respect envers soi-même, mais aussi envers ses pairs. »
Selon elle, le besoin de tremplin qu’éprouvent de nombreux artistes est à l’origine du phénomène. « On s’attaque à leur talon d’Achille. On leur fait miroiter que sans promotion, ils ne seront rien, ce qui est faux. »