Qui boit après le boulot?

Rien de mal à prendre un verre après une journée intense de travail. On décompresse, on relaxe, on savoure. Mais qu’est-ce qui fait qu’on exagère au retour du boulot?
22 % à 33 % des travailleurs canadiens dépasseraient le seuil recommandé de consommation d’alcool. On considère qu’à partir de 15 verres pour les hommes et 10 verres pour les femmes, par semaine, la consommation d’alcool est abusive ou à risque. Un verre correspond à 340 ml de bière ou 140 ml de vin.
Si on sent le besoin de boire un coup pour relaxer, serait-ce que le stress au travail entraîne à abuser des bonnes choses ? Pas tout à fait, répond Sabine Saade, doctorante et chargée de cours en psychoéducation à l’Université de Montréal. Elle a réalisé une étude sur le sujet, avec Alain Marchand professeur à l’École de relations industrielles.
Qui s’aime bien boit bien
Selon son hypothèse, les traits de personnalité affectent la façon de percevoir ses conditions de travail et la manière de faire face au stress. La plupart des recherches sur cette question considèrent que les conditions de travail ont un effet sur la propension à lever le coude. Or, pour la chercheuse, « c’est une question de milieu de travail, oui, mais on ne réagit pas tous de la même manière à notre environnement », nuance-t-elle.
Ainsi, l’estime de soi joue un rôle pour augmenter ou réduire les risques de consommation abusive dans les milieux de travail exigeants physiquement. Un emploi qui demande beaucoup au corps ou qui présente du bruit, de la fumée est certainement stressant. Toutefois, un travailleur dans cet environnement « avec une bonne estime de soi a 3 % moins de risque d’abuser de l’alcool », a évalué Sabine Saade. Vice-versa, « si un travailleur a une attitude de désapprobation envers lui-même, par exemple quelqu’un qui se demande s’il peut faire face aux demandes physiques, il est plus à risque de consommer trop d’alcool ». Croire en soi fait la différence !
Être confiant que sa vie a un sens, que les évènements qui la composent sont cohérents, serait également une bonne façon de se prémunir contre une consommation abusive. Mme Saade a observé que ce « sentiment de cohésion » réduit l’abus d’alcool, peu importe les conditions de travail. Bref, sentir que sa vie est significative garde de sombrer dans l’alcoolisme.
Bouteille à la rescousse du stress
Au-delà de ces conclusions sur la personnalité, Mme Saade constate tout de même que les conditions de travail importent. On apprend ainsi qu’être confronté à des demandes psychologiques élevées, « comme un rythme de travail effréné », augmente de 69 % la consommation excessive. Vous travaillez les fins de semaine, la nuit, et votre horaire change constamment ? Le travail irrégulier est le pire ennemi de la sobriété. Il augmente de 611 % vos chances de trop boire! « C’est clair que c’est stressant », justifie Mme Saade. Quant à l’insécurité au travail, elle aurait l’effet contraire. « Si tu n’es pas sûr d’avoir un travail dans deux mois, tu veux être certain bien performer », interprète-t-elle.
Conséquences
Qui boit trop travaille moins. La consommation abusive d’alcool coûte cher aux entreprises. Accidents de travail, perte de productivité, coûts médicaux, taux de roulement élevé, des millions de dollars seraient engloutis par les mauvaises habitudes des travailleurs. D’où la pertinence d’identifier ce qui fait basculer du côté de l’abus.
Ces études pourraient motiver les employeurs à améliorer les conditions de travail, et par le fait même à agir sur les perceptions de leurs employés. « L’effet n’est pour l’instant pas assez fort pour orienter les politiques d’entreprise ou les politiques publiques, mais ça vaut la peine de s’y attarder. Ce n’est pas vrai que la personnalité du travailleur ne change rien », conclut Mme Saade.