Une seule pomme pourrie peut rendre l’atmosphère de travail dangereusement toxique, constataient récemment trois chercheurs de l’Université de Lund, en Suède. Qu’est-ce que le manque de savoir-vivre en milieu de travail? Quels sont ses effets? Comment la combattre? Deux psychologues du travail nous en parlent.

Un manque de savoir-vivre

Envoyer des textos ou bâiller sans retenue en réunion, négliger de répondre aux salutations du voisin de bureau, prendre tout le crédit pour un travail réalisé en équipe, laisser un collègue de côté lorsqu’on organise un événement spécial : voilà le genre de comportements que la notion d’incivilité englobe.
« Ce sont des microcomportements, des microagressions qui font réagir le cerveau émotionnel de l’individu qui se sent ciblé », explique la psychologue du travail et coach d’affaires Pierrette Desrosiers.
Commis consciemment ou pas, ces manques de savoir-vivre peuvent donner à l’autre le sentiment de ne pas être respecté, voire d’être exclu.
Et ces sentiments ne sont pas anodins : « Les besoins psychologiques sont aussi importants que les besoins physiques », fait valoir Pierrette Desrosiers.

Un phénomène contagieux

Les comportements incivils sont en outre contagieux. C’est là l’une des principales conclusions de l’étude sur l’incivilité menée par les chercheurs de l’Université de Lund. Les données obtenues auprès de quelque 6 000 travailleurs placent en effet l’imitation au premier rang des causes d’incivilité en milieu de travail.
« C’est ce qu’on appelle la spirale de la civilité. Ce n’est pas nouveau, mais cette étude le confirme », indique Marie-France Savard, CRHA, psychologue spécialisée en développement organisationnel. Elle explique : « Si quelqu’un nous interpelle de façon incivile, on a tendance à rétorquer de la même façon. La contagion vient de ce que l’entourage passe en mode réaction et peut même renchérir. »
Plus le coupable occupe un rang élevé dans la hiérarchie, plus son impolitesse tendra à se répandre, ajoute Pierrette Desrosiers : « Si le patron regarde son téléphone et envoie des messages en pleine réunion, ça devient une façon de faire acceptée dans l’organisation. »
L’inaction des gestionnaires peut elle aussi favoriser la contagion, croit Marie-France Savard : « Il arrive qu’on dénonce une incivilité et que le gestionnaire la banalise ou même le tourne contre la victime en lui disant de ne pas être aussi susceptible. Banaliser ou refuser d’agir revient à accepter un tel comportement. »

Petits gestes, grands impacts

Les auteurs de l’étude suédoise mentionnent que l’incivilité a pour conséquences une baisse de satisfaction professionnelle, un risque accru de maladies mentales chez les victimes et une baisse de productivité.
« C’est l’accumulation de ces petits gestes qui font qu’on n’en peut plus », indique Pierrette Desrosiers. La psychologue précise que l’insomnie et l’anxiété sont parmi les effets potentiels à long terme du manque de savoir-vivre au travail.

Le courage d’agir

Afin d’enrayer le problème, la responsable de l’étude menée à l’Université de Lund, le Dr Eva Torkelson, invite les organisations à offrir à leur personnel de la formation sur la civilité au travail.
Pierrette Desrosiers endosse cette piste de solution : « Il faut créer des événements pour travailler sur la culture d’entreprise. Se donner des règles de savoir-vivre explicites et les moyens de les faire respecter. »
Aux victimes d’incivilités, les deux psychologues interrogées proposent une démarche en escalier. D’abord, en parler avec la personne qui a manqué de savoir-vivre : « Certaines personnes ne sont pas conscientes de l’impact de leurs manières sur leur entourage », indique Marie-France Savard.
Si rien ne change, le temps est venu de faire appel à un supérieur ou au syndicat afin qu’ils prennent la relation toxique en main.
Marie-France Savard reconnaît qu’il faut aux gestionnaires une bonne dose de courage pour affronter les problèmes d’incivilité. Elle rappelle toutefois qu’ils ont la responsabilité de faire enquête, de trouver une solution acceptable pour les deux parties et d’assurer le suivi.
Les travaux de l’équipe suédoise portent d’ailleurs à croire que beaucoup de travail en ce sens reste à faire : 75 % des travailleurs interrogés affirment avoir été victimes de manques de savoir-vivre au travail au cours de l’année précédant l’étude.