Amener vos employés à se dépasser peut passer par la valorisation d’exemples à suivre dans votre équipe. Mais attention à ne pas créer de jalousies et un climat trop compétitif.

 

À la base, émuler veut dire « chercher à imiter ». L’émulation, c’est par conséquent ce sentiment qui pousse à vouloir faire aussi bien, voire mieux que nos pairs. À ne pas confondre avec l’esprit de compétition qui vise la supériorité, voire la domination de l’autre.

 

Alors que l’émulation implique la recherche de l’intérêt commun au travers de la performance, compétition rime plus avec concurrence, c’est-à-dire avec la poursuite d’un avantage individuel.

 

La nuance est très subtile. Tout gestionnaire qui veut intégrer l’émulation dans ses méthodes devra composer avec cette délicate proximité entre les deux notions.

 

Jacques Hamel, professeur titulaire au département de sociologie de l’Université de Montréal, connaît bien l’utilisation de l’émulation dans la gestion des ressources humaines. À la fin des années 90 et au début des années 2000, il a mené une longue étude chez Cascades, une entreprise qui a fait de l’émulation un des piliers de son management.

La méthode des frères Lemaire, les trois fondateurs de la papetière québécoise, a toujours été de racheter des canards boiteux et de les relever grâce à la participation active des employés et des communautés environnantes.

« L’idée, c’était que tout le monde devait mettre la main à la pâte pour sauver la boîte, rappelle M. Hamel. Et afin de mieux y parvenir, ils ont instauré une culture de l’excellence. » Avec succès, puisque le groupe Cascades est aujourd’hui l’un des fleurons de l’économie de la Belle Province, après avoir sorti du trou bien des usines.

Attention aux jalousies

Cela dit, si l’émulation vise à créer un genre de Jeux olympiques d’entreprise, à fédérer les troupes autour d’un projet commun, il est aussi facile de semer la zizanie par ce biais.

Car évidemment, créer une culture d’excellence revient forcément à distinguer certaines personnes, à souligner les qualités de tel ou tel employé. Ce qui n’est pas bien vécu par tous sur le terrain.

« Ce sont souvent les jeunes qui viennent d’arriver qui jouent le plus le jeu, car ils veulent faire leur preuve et briller auprès de leurs chefs, explique M. Hamel. Les plus anciens les considèrent parfois comme des “lèche-cul” des patrons. En fait, ils voient dans cette nouvelle forme de relation avec le management un bris de la solidarité ouvrière, qui s’exprime traditionnellement sous la forme d’un rapport de force avec le patronat. »

D’ailleurs, M. Hamel a remarqué que la mise en place des politiques d’émulation était plus compliquée sur les sites où les syndicats sont présents. « Les syndicats, qui ont l’habitude d’être l’outil de médiation entre les employés et les dirigeants, se sentent court-circuités par cette nouvelle forme de collaboration. Ils voient aussi dans le fait de demander aux salariés de se surpasser pour atteindre des objectifs une nouvelle forme d’exploitation. Ils se sentent par conséquent plus le devoir de défendre les employés des abus de leurs patrons », analyse-t-il.

Alors, que faire pour que cette politique de tournoi amical entre départements ou employés soit comprise dans le bon sens?

« La direction doit jouer le jeu jusqu’au bout, explique M. Hamel. C’est très important de jouer cartes sur table, de faire un maximum d’effort sur la transparence des objectifs et des résultats obtenus. Il n’y a qu’ainsi que vous combattrez les suspicions de favoritisme ou d’exploitation. Et cela passe aussi bien par l’installation de panneaux lumineux qui informent en temps réel des performances de l’entreprise (bénéfices, cours de l’action, pourcentage des objectifs complétés) que par des patrons réellement accessibles, que vous connaissez et qui connaissent votre nom et votre histoire. »

Bref, il faut établir un vrai lien de confiance. Car finalement on n’accepte de jouer que quand on est sûr que tout le monde suivra bien les règles.