Surqualifié? Vous n’êtes pas seul

Le caissier de votre épicerie discute de l’art rococo dans le Saint Empire romain germanique? Votre ancienne camarade de baccalauréat est préposée à la clientèle dans une institution bancaire? La surqualification est en effet un phénomène en hausse au Québec.
Dans la grande région métropolitaine de Montréal, près d’une personne sur trois occuperait un emploi pour lequel son niveau d’études est supérieur au niveau de compétences requis. C’est du moins ce qu’affirme une étude réalisée en 2013 par le centre de recherche interuniversitaire CIRANO. Même si la statistique semble démesurée, on peut se consoler, car ce pourcentage – 31,5 % – n’est que légèrement supérieur à Vancouver (29,3 %) et Toronto (29,2 %).
Le CIRANO confirme ainsi l’avis de l’Institut de la statistique du Québec. Leur dernière étude, bien que moins récente (2008), estimait aussi que la surqualification était un phénomène en augmentation partout au Québec. On y pointait déjà le nœud du problème : les Québécois sont de plus en plus scolarisés, mais le marché du travail ne parvient pas à absorber la totalité de ces travailleurs.
L’inadéquation volontaire
On peut par ailleurs choisir d’occuper un emploi qui demande moins de qualifications pour d’autres avantages, comme une meilleure rémunération, une conciliation travail-famille plus harmonieuse ou de nouveaux intérêts. D’autre part, toujours selon l’étude du CIRANO, 18 % des travailleurs de la région de Montréal sont sous-qualifiés par rapport à leur emploi. Ils ont gravi les échelons en apprenant leurs compétences « sur le tas ». Comme quoi l’équation entre études et travail est rarement simple.
Effets
Même si on peut être surqualifié par choix, notre bagage risque de faire peur à l’employeur. Celui-ci peut craindre qu’un employé surqualifié manque tellement de défis ou de stimulation qu’il ne reste pas fidèle très longtemps à l’entreprise. Du côté de l’employé si la seule alternative est d’occuper un emploi qui ne requiert pas son plein potentiel, on peut se sentir dévalorisé et frustré. Il faut se fixer des objectifs à moyen terme ou encore énoncer clairement les raisons qui poussent à accepter l’emploi.
Dans une perspective globale, trop de diplômes tuent les diplômes. Si tous les candidats à un poste possèdent une maîtrise par exemple, on insistera sur l’expérience pour préférer une personne. Dévalorisation des diplômes au sens où il ne suffit plus pour décrocher l’emploi rêvé. En parallèle, on observe aussi le rehaussement des critères d’embauches. Ne devient plus secrétaire qui veut; on exige désormais un diplôme professionnel.
Études trop supérieures
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les détenteurs de maîtrise ou de doctorat qui sont les plus surqualifiés pour les emplois qu’ils occupent. Dans la grande région de Montréal, ce sont plutôt les travailleurs issus d’écoles de métier ou d’autres certificats qui sont particulièrement sujets à la surqualification (47 %).
Si l’on se concentre sur des secteurs déterminés, l’hébergement et la restauration remportent la palme d’or des travailleurs surqualifiés. On peut tout de même se demander si, dans ce cas-ci, la surqualification est permanente ou temporaire. Suffit de songer à tous ces serveurs qui paient leurs études avec les revenus de la restauration. Les professions aux taux de surqualification les plus élevés? Les caissiers, le personnel élémentaire de la production primaire, les manœuvres dans la transformation, la fabrication et les services d’utilité publique.
Quant au domaine d’études, ce sont les facultés d’art et sciences et de sciences sociales – sans surprise – qui génèrent le plus de travailleurs trop éduqués pour ce qu’on leur demande professionnellement. Ce à quoi les étudiants rétorquent que les connaissances ne servent pas qu’au travail! L’épanouissement intellectuel, la participation au débat public sont des « compétences transversales ». Bref, le phénomène de la surqualification n’enlève rien à la liberté du choix individuel, qui n’est pas nécessairement guidé par les besoins sur le marché du travail.