Il a beaucoup été question de la réforme du Programme des travailleurs étrangers temporaires dans l’actualité de la semaine dernière.

Et pour cause : en 2012, des histoires d’abus de ce programme avaient fait scandale. Notamment, la Banque royale du Canada (RBC) avait été accusée de recruter des travailleurs étrangers sur une base temporaire, dans l’objectif qu’ils remplacent, plus tard, des employés canadiens.

D’autres histoires de magasins de beignes et autres comptoirs à poulet, ou café, embauchant des travailleurs étrangers au salaire minimum ont agité les médias. Parmi les employeurs ayant sollicité le programme, on notait des hôpitaux, des CLSC, des ministères fédéraux et provinciaux, des villes (comme Montréal et Laval), des organismes à but non lucratif (genre fédération sportive, truc religieux, association contre une quelconque maladie) presque toutes les universités et des commissions scolaires. Aussi, une quantité considérable de restaurants, de dépanneurs, de motels. Et pas juste dans les quartiers multiethniques de Montréal, mais aussi dans les confins de la campagne québécoise, comme à Rawdon, par exemple. De nombreux commerces situés dans les zones de villégiature à réputation internationale, comme à Mont-Tremblant et dans Charlevoix, y figuraient aussi.

Bar open!
Le ministre de l’Emploi Jason Kenney a annoncé vendredi dernier la fermeture du bar open. Les frais par employé étranger embauché grimpent de 275 $ à 1000 $. Les employeurs ne pourront combler plus de 10 % de leur main-d’œuvre nécessaire peu rémunérée (au Québec, on parle de 20$/heure ou moins) par des travailleurs étrangers temporaires. Aussi, tout le commerce de détail ne pourra engager des travailleurs étrangers temporaires dans les régions où le taux de chômage dépasse les 6%. Dans le cas du Québec, ça veut dire à peu près partout, sauf à Québec et sur la Rive-Sud.

Par contre, les travailleurs agricoles sont exclus des modifications. C’est le gros bon sens même.

Le ministre a reconnu ce que plusieurs observateurs, dont moi-même, affirmaient à propos du programme : c’était devenu un modèle d’affaires pour plusieurs entreprises, et même certains secteurs d’activité, afin de réduire les salaires. Parmi ceux qui dénonçaient l’affaire : l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney (aujourd’hui à la tête de la Banque centrale d’Angleterre), rien de moins. Selon lui, les employeurs canadiens développaient depuis quelques années une dépendance à l’égard des employés étrangers peu rémunérés.

La très forte utilisation du programme (il y avait trois fois plus de travailleurs étrangers au Canada en 2014 – près de 400 000 – qu’en 2003) tire vers le bas les salaires payés au Canada prévenait-il, et pousse les entreprises à la paresse. Ainsi, plutôt que d’investir dans la technologie et la formation de la main-d’œuvre, elles se contentent de maintenir leurs marges en embauchant des bas salariés. Ce qui, le moindre nigaud en conviendra, n’est pas bon pour l’économie canadienne.

La réforme s’applique partout au Canada, sauf au…?
Or, pour le Québec, tout cela constitue beaucoup de bruit pour… peut-être rien. En effet, les nouvelles règles au programme ne s’appliquent pas au Québec, sauf pour l’augmentation des frais. Tout le reste doit faire l’objet de discussions entre le fédéral et l’État québécois. «Dans quelques semaines», a spécifié le ministre Kenney, au sujet d’une éventuelle entente avec le gouvernement Couillard…

Même avec un gouvernement ouvertement fédéraliste à Québec, les discussions fédérales-provinciales ont tendance à être pas mal plus longues.

Pour l’heure, seul le moratoire concernant les demandes des employeurs dans le secteur de la restauration a été levé. Au Québec, cela signifie que les demandes reçues depuis l’application du moratoire dans le secteur de la restauration et celles qui étaient déjà en cours d’analyse pourront être traitées selon les règles en vigueur avant le moratoire.

Pourquoi? Parce que depuis 2012, une entente avec le gouvernement de Jean Charest permet à Emploi-Québec de devenir le seul maître d’œuvre de ce programme au Québec dans 44 métiers et professions. La main haute d’Emploi-Québec sur le programme explique pourquoi peu de cas d’abus ont été identifiés dans la Belle Province, contrairement à l’Ouest canadien.